• Rebond...10.02.2021...

    1 - Rebond en marge du canal de la Durance.


    Bien sûr, les berges au cordeau lui allaient comme un gant, bien près du corps, étirées comme mues de serpents, flot d'écailles vernies pour peausserie de confort.
    Mais, à peine avait-il mis les pieds sur le revêtement de gore souple et blanc, répandu comme un ruban, que ce qui déboulait était d'une autre nature.

    Cela venait de loin. Il en pressentait l'approche avec le flair des animaux à l'heure des tremblements de terre. Le torrent n'avait jamais charrié autant de boues, de roches, de branches arrachées. Le lit se livrait à de terribles débordements. C'était un épandage tumultueux, fait de l'irruption éhontée de trombes d'eaux, de barricades en bataille sous le boutoir des fûts de bois, de galopantes écumes ensauvagées par la pente et de tonnerres de dieux en geyser.
    Ce jour-là fut un jour de déluge. Il fallait que le monde s'en souvienne.

    Dans un lâcher prise de fin de résistance, les cascades de toutes les montagnes affluaient, en cataractes, comme aspirées par le goulot de la vallée ouverte. Le carnage des maisons emportées, le labourage effroyable des arbres, les amas monstrueux creusant le passage aux glaciers, tout se fracassait et fondait dans un gigantesque capharnaüm.

    Surnageant à la cacophonie des images, il plongeait, sans crier gare, dans la baie du lac qui signait la fin magistrale d'un tortueux périple. A fleur d'eau, il composait des yeux la succession des baignades inaccessibles et pointait du regard des voiles de bateaux, immobilisés, sous une brise inconsistante.

    A partir de là, l'histoire lui échappait. Il avait beau faire des incursions dans les criques, reprendre l'amorce des sentiers abruptes, la géographie civilisée l'avait rendu analphabète. Plus aucune musique concrète ne venait soutenir ses tentatives.
    Il n'osait se laisser aller à dériver, craignant le grand saut du barrage. Car, ce qui en précédait l'arc immense était l'étendue d'un bleu métallique et froid où l'inertie avait la profondeur des catastrophes.

    Pour fuir l'insistante présence du cirque de béton, où s'accumule la charge incommensurable de l'amont, il se laissait enserrer par la marge étroite et claire des eaux domptées de la Durance, et la haie  libre, qui s'était accommodée de la lumière des Alpes et de la frugalité des sols. Les berges du canal était son chemin quotidien.

    Il s'essayait à la nonchalance, dans des gestes artistiques de lanceur de caillou. A chaque rebond s'amenuisant sur l'eau, il surprenait la fugacité de ses pensées.
    Parfois, pour en apprivoiser la quintessence, il suivait le bouchon au bout d'une ligne, et, dans le frétillement d'un poisson, remis à flot par compassion, il reprenait son cours, vacillant, entre deux eaux.

    Andrée Wizem

     

    Samedi 14 Janvier 2012.

    Texte écrit à partir de la consigne :  utiliser les mots "canal" et "rebond"

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