• Pierres et ruissellements

     

     

     

    Au premier voyage, il ne vit pas de quoi était fait le chemin.

    Il marchait, déséquilibré, dans la nécessité de s’orienter, sans connaître les parcelles de terre où ses pas le menaient.

    Il était chargé de mots, des sacoches de mots, entassés, empilés, enveloppés, reliés, triés, identifiés, vérifiés au sceau des érudits.

    Il les portait tous sans en connaître aucun.

     

     

    Au deuxième voyage, il regarda les éléments du monde. Il démêla les serpents des racines, il différencia les fruits des pierres rondes, il s’interrogea sur les feuilles des arbres et les milliers de feuillets qu’il avait à son dos.

    Il se laissa aller à humer, à décomposer le paysage, à tourner et retourner la nature.

    Dans le même temps, l’idée de faire vivre les mots pour nommer les choses fit son chemin puis l’habita tout entier. A ceux qui étaient enfermés dans son sac, se mêlèrent les cailloux sur lesquels son regard butait, et qui lui semblaient receler des significations palpables.

     

     

    Au troisième voyage, il consulta les écritures du monde.
    Il s’immergea dans les calendriers, les cartes, les prospectus, parfois, dans le dictionnaire et quelques atlas.
    Il se posa des questions qu’il formula par des onomatopées, des frémissements des narines et des petits signes de jubilation.
    II croisa d'autres marcheurs qui étaient occupés à regarder des choses de la nature et de l'esprit, invisibles à l'oeil nu.
    Toute cette agitation se produisait, en silence, dans la compagnie des pierres.
    Il s’enhardit à lire avec les codes établis et se confectionna des outils d’investigation : des échelles pour voir plus loin, des pelles et des pioches pour creuser plus profond.
    Il s’inventa une brouette d’archéologue, de bâtisseur, de maître d’ouvrage, pour porter son aventure.


     

    Au quatrième voyage, il prit, sur le chemin, ce qui mêlait le plus, l’air, l’eau et la terre.
    L’objet de sa découverte fut, ainsi, la fleur de molasse semblable à la rose des vents. Il en fit son sujet de recherches, sa question fondamentale. son noeud pour ne pas oublier.
    En l’observant, il saisit que le temps savait faire son œuvre et sut que la vie et la mort étaient la sienne.
    Il entreprit de marcher pas à pas et de marquer, chaque étape, d’une récolte minérale. Il accumula ainsi des voyages de galets et de coquillages, de concrétions de sable, d’empreintes animales et végétales.
    Il décida de bâtir un sens à son existence, quelque chose d'inconnu encore, qui le dépasserait. Son édifice aurait l’âge de sa naissance et de sa mort et la longévité de la matière.


     

    Au cinquième voyage, il déambula entre ses trouvailles. Puis, il survola des villages, des arbres, des tours, des temples.
    Il s’infiltra entre les pierres, dévala des traboules, plongea sous des arcades , se hissa au sommet des corniches, réapparaissant à tous les frontons.
    Il tissa des racines, fit pousser des arbres et laissa se déployer sa grande animalerie.
    Cela ouvrait les ailes, se postait au seuil des fontaines et des monuments, veillait des sentinelles, formait des pyramides avec les mollusques et les éléphants.
    Aux quatre points cardinaux, se révélaient les façades de l’univers.
    Il fit tenir ensemble les éléments disparates de la terre, trouva une place à ce qui avait une forme indéfinissable, assembla de curieuses créatures en défiant les lois de l'équilibre.
    Il mesura du regard la petitesse et la grandeur de toute chose.

     

     

    Au sixième voyage, il retrouva les mots qu’il portait dans son sac, depuis toujours. Il ouvrit des enveloppes et découvrit des messages. Il y trouva aussi ses pensées, recueillies peu à peu.
    La fragilité du papier ne lui avait pas échappé. Maintes fois, les piles de lettres qu’il était chargé de remettre à leurs destinataires, avaient pris l’eau. L’encre avait coulé, les mots s’étaient délavés.
    Il lui fallait un support d’écriture à la mesure de ce qu’il voulait transmettre : les signes de l’énergie vitale.
    Il connaissait bien la composition des roches. Il choisit celles qui résisteraient à l’effritement. Sur des pierres plates, il grava durant des années.
    Il travailla au burin comme au stylet.


     

    Au septième voyage, il abandonna ses plans, ses échafaudages et tous les brouillons de notes écrites sur des carnets.
    Pensant avoir fait de son mieux avec ses mains, il regarda les nouvelles images qu’il avait créées et se dit qu'il était temps de mourir.
    Dans son tombeau, son corps fut visité par la petite animalerie, démailloté par les racines, réduit en milliers de fragments se mêlant à la terre.
    Depuis, la pluie ruisselle sur son œuvre, sculptant de nouvelles figures.
    On y approche l’énergie de l’eau, la force des oiseaux, la placidité des fauves, la jovialité des bêtes à cornes,  la docilité des reptiles, l’exubérance des arbres, les enroulements de coquillages, le souffle du vent, la fluidité du sable.
    On y découvre des lettres disséminées pour des lectures aléatoires, configurations plastiques des nouveaux calligrammes .

     

     Andrée Wizem 

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    animation  d'une scène ouverte slam le Samedi 24 mai 2008  à la librairie "Au Baz'Art des Mots" 26390 Hauterives faisant suite à l'animation de trois ateliers d'écriture dans le cadre d'une programmation "autour du galet"


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  • 1 - Rebond en marge du canal de la Durance.


    Bien sûr, les berges au cordeau lui allaient comme un gant, bien près du corps, étirées comme mues de serpents, flot d'écailles vernies pour peausserie de confort.
    Mais, à peine avait-il mis les pieds sur le revêtement de gore souple et blanc, répandu comme un ruban, que ce qui déboulait était d'une autre nature.

    Cela venait de loin. Il en pressentait l'approche avec le flair des animaux à l'heure des tremblements de terre. Le torrent n'avait jamais charrié autant de boues, de roches, de branches arrachées. Le lit se livrait à de terribles débordements. C'était un épandage tumultueux, fait de l'irruption éhontée de trombes d'eaux, de barricades en bataille sous le boutoir des fûts de bois, de galopantes écumes ensauvagées par la pente et de tonnerres de dieux en geyser.
    Ce jour-là fut un jour de déluge. Il fallait que le monde s'en souvienne.

    Dans un lâcher prise de fin de résistance, les cascades de toutes les montagnes affluaient, en cataractes, comme aspirées par le goulot de la vallée ouverte. Le carnage des maisons emportées, le labourage effroyable des arbres, les amas monstrueux creusant le passage aux glaciers, tout se fracassait et fondait dans un gigantesque capharnaüm.

    Surnageant à la cacophonie des images, il plongeait, sans crier gare, dans la baie du lac qui signait la fin magistrale d'un tortueux périple. A fleur d'eau, il composait des yeux la succession des baignades inaccessibles et pointait du regard des voiles de bateaux, immobilisés, sous une brise inconsistante.

    A partir de là, l'histoire lui échappait. Il avait beau faire des incursions dans les criques, reprendre l'amorce des sentiers abruptes, la géographie civilisée l'avait rendu analphabète. Plus aucune musique concrète ne venait soutenir ses tentatives.
    Il n'osait se laisser aller à dériver, craignant le grand saut du barrage. Car, ce qui en précédait l'arc immense était l'étendue d'un bleu métallique et froid où l'inertie avait la profondeur des catastrophes.

    Pour fuir l'insistante présence du cirque de béton, où s'accumule la charge incommensurable de l'amont, il se laissait enserrer par la marge étroite et claire des eaux domptées de la Durance, et la haie  libre, qui s'était accommodée de la lumière des Alpes et de la frugalité des sols. Les berges du canal était son chemin quotidien.

    Il s'essayait à la nonchalance, dans des gestes artistiques de lanceur de caillou. A chaque rebond s'amenuisant sur l'eau, il surprenait la fugacité de ses pensées.
    Parfois, pour en apprivoiser la quintessence, il suivait le bouchon au bout d'une ligne, et, dans le frétillement d'un poisson, remis à flot par compassion, il reprenait son cours, vacillant, entre deux eaux.

    Andrée Wizem

     

    Samedi 14 Janvier 2012.

    Texte écrit à partir de la consigne :  utiliser les mots "canal" et "rebond"

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    2 - Buffet froid.

     

    Il se noyait dans le flot des tissus. 

    Des lès tombaient en bannières suspendues aux tringles et tournoyaient, dans un mouvement hélicoïdal où il se surprenait à se perdre.

    Glissant comme un patineur,  dans ce labyrinthe de voiles, il laissait errer ses mains qu'il avait gantées, sur les montagnes de velours déhanchés, les plissés satinés ruisselant en un rosé de mer au couchant. Il en défroissait les fibres du bout des doigts et laissait son regard s'accrocher au tramage et y sombrer jusqu'aux lisières.

    Ses gants avaient le toucher de l'agneau mort-né, sensibles et laiteux, d'avant les blessures, d'avant le veinage bleu.

    Mu par une chorégraphie hors normes , concentré à outrance, il soupesait les amoncellements de lainages où se nichaient mohair et cachemire en vibrations de chat. Il enveloppait de gestes ronds cet univers, allait à saute moutons par delà des frontières de fourrures exubérantes. Il enroulait des pans d'étoles en une floraison de lendemains brouillonnant de saisons et se roulait sur des tapis savamment abandonnés à ses investigations textiles. 

    C'était là passage d'animal inconnu, ailé à souhait, effleurant l'air mouvant de couleurs et la moiteur nuageuse des antres d'océan, avant de s'élancer à la faveur de ce qui ressemblait bien à un coup de vent, vers des horizons tissés de fils invisibles.

    Ainsi, il fendait les rideaux et apparaissait sur le devant de la scène, lançant aux nues ses gants de peau.

    Côté cuisine, il avait l'art de couper le fromage en quatre, puis en huit, puis en seize, se pinçant de toujours aboutir en autant de parts égales qu'il y avait de convives, furent elles en nombre impair.

    L'opération ne débutait pas sans avoir choisi de couvrir ses doigts d'une nouvelle enveloppe plastique semi opaque, entalquée, absorbant toute sueur et toute odeur.

    De la pointe d'une lame, il déplaçait le fruit de sa partition, sur le bord de l'assiette, prenant soin de ne rien masquer de la céramique ouvragée. En grande finesse, il ordonnait la fromagerie et les petits points de relief qui ornaient le pourtour de porcelaine. Il soulignait le tout de subtiles saillies lyriques.

    Avec une gestuelle de grand dignitaire, il jetait son dévolu sur une part de bleu à la fourchette, en savourait du nez l'affinage, avant de l'engouffrer, la bouche grande ouverte, dans un éclat de cracheur de feu. Il ne manquait pas de composer le bouquet final avec quelques grains de raisin happés à la volée.

    Dans l'élan de l'accomplissement, il libérait ses mains des gants en latex, époussetant le moindre grain de talc qui pouvait ternir cette aventure.

    Et, dans un pas de côté tout élégantissime, un linge fin immaculé brodé d'initiales indescriptibles à son avant bras, il entreprenait le service.

     

    Andrée Wizem

     

    Samedi 7 Avril

    Texte écrit à partir de la consigne: utiliser les mots "élégantissime" et "assiette"

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    3 - Courant d'air.

     

    Il n'avait pas mis les pieds sur terre que tout recommençait. Il regardait l'alignement parfait de ses orteils en deux obliques formant le chapiteau qu'il avait égyptien. Il se perchait sur son mât et le grand horizon de sa journée lui ouvrait le passage.

    C'est qu'il gardait à l'oreille une chanson de pleine lune où tourbillonnait de la mousse dorée.

    Entre les va et vient de la brosse à dents qui massaient ses gencives, il cherchait le début de la ritournelle. Dans le verre d'eau, il voyait le kaléidoscope en fragments biseautés, bijou de pacotille qu'il se plaisait à faire tournoyer, à l'extrême forage du souvenir.

    Puis venaient les ablutions rituelles et les effets du miroir où se perdaient quotidiennement la mélodie.

    Cherchant son habit du jour, dans les doublures dont il vérifiait les coutures, il reprenait péniblement le fil. C'est ainsi que s'acharnaient des figures sur des partitions aux lignes brisées et tombaient, en éclats de cristal, des bulles à peine nées d'un souffle de verrier.

    Dans un grésillement de gramophone, lui revenait, à son corps défendant, des notes graves échappant à un pavillon tonitruant, ouvert comme la corolle d'une fleur étrangère. Il s'empressait d'en dessiner les contours et d'en croquer l'épaisseur charnue, malgré les éraflures imprimées à son tympan.

    Il avalait en quelques gorgées une boisson énergisante, faisait quelques bouchées d'une part de nourriture terrestre, puis vaquait, dans le désordre de ces réminiscences musicales, à la mise en oeuvre de ses premiers pas.

    Il lui arrivait de procéder à des collages sonores, sorte de magma composite fait de bris de voix, sans parvenir toutefois à ce tableau oscillant entre patios familiaux, terrasses à touristes et chambres habitées , ou bien même spectacles de foire et virées de jeunesse, déformant à souhait la mélodie qui en était la couleur.

    A l'instant de se chausser, il observait les contorsions de sa gorge pour retrouver l'accent de cette langue d'où émergeait cette air d'amourette, décliné dans toutes les tonalités, et collectionnait les tentatives pour en extraire le timbre exact.

    Au seuil de la nuit, retrouvant la chanson du c.d. oublié en mode repeat, il saisit qu'un courant d'air, au petit matin, avait refermé la porte, gardant, à son insu, la clé de l'autre côté.

    Encore un acte manqué, se dit il, résigné à demeurer hors de lui même. Alors, il rebroussa chemin et partit en quête d'un bar noyé de musique où il choisirait une bière blanche, espérant y rencontrer une de ces nouvelles spécialistes des instruments à vent.

    Et à sa grande surprise, il se mit à chanter un air connu.

     

    Andrée Wizem

     

    Samedi 30 Juin 2012

    Texte écrit à partir de la consigne: utiliser le mot "c.d."

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    4 - Marelle.

     

    Un début de phrase,le souvenir d'une voix, c'était ainsi le commencement de tout, après avoir fait le choix de la mine grasse d'un crayon de graphite.

    Une fois achevé le détail des festons laqués de rouge, par le soin d'un patient taillage du bois, il laissait errer l'outil , tout en recherchant le carreau défaillant qui le conduirait, immanquablement, à son jeu préféré.

    Un arc vif esquissé, et la première courbe bombée d'une parenthèse s'infiltrait dans l'air, corne effrontée, accompagnant les mots qu'il énonçait comme autant de tirbouchonnades, ce qui le propulsait au paradis sur terre.

    Les huit cases prenant forme d'aéroplane recelaient leurs consignes changeantes, comme au règne de la Mère l'Oie. Les pièges imaginés d'une voix facétieuse lui donnait matière à de multiples combinaisons . Ce n'était pas sans un certain plaisir qu'il échappait au carreau rendu maléfique par le seul voeu de la fantaisie.

    Les consignes étaient aussi claires que de l'eau de roche. Il y puisait de quoi composer un chant aventureux, plein d'imprévus qui modulaient sa comptine, dans des variations allant du tréfonds de la fosse des Mariannes au sommet de l'Himalaya, ou de l'Everest ou bien même du Kilimandjaro.

    C'est sur un pied qu'il lui fallait saisir au sol ce qu'il était convenu d'appeler un palet. La forme en était des plus insaisissables, changeant d'un jour à l'autre, au gré de ce que lui offrait sa vie très ordinaire. Avait il trouvé une plume de geai, ou bien la feuille ajourée d'un arbre, ou bien encore la coquille vide d'un escargot, qu'il s'empressait de conjuguer l'ordre selon lequel il allait les remettre en jeu.

    Dans le feu de l'action, la feuille dentelée, qui avait perdu son limbe et hésitait à se poser sur le losange désigné, exigeait de lui l'excellence et l'abnégation d'un chef d'orchestre oeuvrant sur le Titanic. A chaque relance, il évitait le chavirage par un mouvement lent qui l'amenait de la position verticale à cette position si singulière d'un gymnaste faisant la planche. Jamais il ne manquait de poser ce qui marquait la case à franchir, et, dans le bondissement aérien d'un cétacé il traçait des arcs qui s'ouvraient et se refermaient sans discontinuer.

    La dernière courbe lui donna l'élan pour atteindre le ciel qui était la portion de lune dessinée à l'autre bout de ce parcours où s'assemblaient les plus curieux parallélépipèdes.

    "Ciel" fut bien le maître mot de cette journée des plus terrestres. 

    Son chant à peine ébauché, il fut plongé dans la clarté d'une fenêtre, pour retomber sur son pavé de prédilection et emboîter le pas de son enfance. Ce qu'il fit, clopin-clopan, avec toute la ferveur qui seyait aux premières lueurs d'un jour de bureau.

     

    Andrée Wizem

     

    Samedi 13 Octobre 2012

    Texte écrit à partir de la consigne: utiliser les mots "marelle" et "chant"

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    5 -  L'écritoire à nuages.

     

    Il avait cessé de comptabiliser ses carnets. Il avait décidé de les disposer dans son esprit, en des nuages de titres dont il acceptait le changement de polices de caractères. Leurs tailles variaient selon le zoom adapté à l'attention du moment.

    Parfois, un temps ensoleillé faisait papillonner les lettres comme autant de gouttelettes vaporisées en un clin d'oeil. Parfois, un gris opaque resserrait les mots qui se disloquaient en plaques mousseuses, lentes dans leur chute.

    Aujourd'hui, ce qui l'intéressait c'était le recueil portant le titre "Mémoires", qu'il entrevoyait s'étirant en nombreux chapitres, où bataillaient les dates et les lieux ainsi que les citations qu'il aurait aimé repérer dans son paysage mental.

     Il notait que cette idée ressurgissait quand il s'approchait de ce meuble de taille modeste, legs hasardeux d'une aïeule. Il se souvenait que, lors du décapage de la cire noircie par les ans, ce qui avait nécessité le démontage des taquets qui retenaient l'ouverture complète des tiroirs, une case était apparue dans le fond de l'un d'entre eux.

    Cela aurait été simple s'il y avait trouvé un de ces objets éclairants, qu'on abandonne d'ordinaire au fil des ans tant ils sont destinés à être cachés, mais le vide fut sa seule trouvaille. La destinée de cet espace secret venait se mêler aux phrases de longue haleine qui pendaient des nuages de son esprit , lui brouillant la vue.

    Il était donc près de l'écritoire, appuyé au bois de noyer, fouillant ses plumiers en dépit  de savoir ce qui lui manquait, dans ce temps vague où l'indécision et la vacuité rivalisaient en silence, lorsque son regard saisit les brins de raphia qu'il avait, sans doute machinalement, un jour, enroulé autour de ses doigts.

    A cet instant, il lui fallut choisir entre garder cet embarras avec les encres et les plumes ou se débarrasser de ces liens de paille. D'un geste négligé, il fourra l'anneau dans la case assez inaccessible au fond du second tiroir et retourna à ses nuages d'écritures.

    A présent, le plus difficile restait à faire: trouver dans quel chapitre des "Mémoires" et à quelle page il avait fixé le post it fluo annoté de remarques, qu'il n'avait pas dû manquer de consigner le jour où cet écritoire avait échoué dans ses mains. Il supposait qu'il avait bien dû inscrire quelque part, le jour, le mois, l'année et le fin mot de cet héritage ou, plus sûrement, la phrase énigmatique qui le remettrait sur la piste.

    Pour ne pas oublier d'entreprendre cette recherche, il prit le dernier carnet en cours et à la date du jour nota en trois vers:

    "

    Histoire d'écritoire

    Un marque page envolé

    Le ciel de nuages

    "

    Il eut un mal fou à saisir les mots justes.

     

    Andrée Wizem

     

    Samedi 8 Décembre 2012.

    Texte écrit à partir de la consigne :  utiliser les mots "mal" et "tiroir"

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    6 - Scenario.

     

    Entre ses quatre murs, il menait une vie de rêves.

    Non pas que l'expression fut à prendre réellement au mot, mais plutôt que cela fut à prendre au pied de la boussole.

     A l'Ouest, une armada faisait glisser des armoires, pleines de glaces aux gravures et arêtes vives, slalomant avec déhanchements et déboîtés pour flotter sur les aspérités d'un plancher couverts d'échardes mal dégrossies, le tout se redressant dans sa cochlée, ahanant des cavités sombres à flanc de murailles où il prévoyait quelque repli au cas où l'orage viendrait à éclater. 

     Au Nord, il ne savait si l'on écorchait matières vivantes ou si, simplement, autour de la table l'on devisait sur l'air du temps, avec les trémolos de saison ou, plus précisément, si les musculations de la glotte aux prises avec des sonorités empruntées à la rue, un jour de marchandages, avaient à voir avec des transactions d'arrière boutiques ou des scansions de mise à prix honorable, un jour de vente aux enchères, dans le trop plein des ouvrages artistiques qui fusaient au dessus des mêlées.

     A l'Est, rien de bien nouveau, sauf peut être ce rai, sous une plinthe, dont l'orientation variait selon des itinéraires vagues, qui laissait entendre les signaux d'une lampe cherchant à percer un mystère ou traçant un sillon dans la nuit, avec des sinuosités peu communes au point d'en traduire le langage dans un code bucolique, à chaque fois remis en questions, ce qui tourmentait quelque peu la fantaisie de suggestions de lumière, ouvragées par d'éclectiques mises à feux.

     Au Sud, il accumulait les encombrements, ce qui n'arrangeait pas le paysage, et lui constituait tout une manne à déplier inlassablement, ou plus encore, compliquait l'architecture de la mise en scène en des tableaux où coulissaient ses décors, effaçant, sans qu'il le souhaite vraiment, ce qu'il avait fait de mieux dans la vie ou, plutôt, ce qui pouvait être source d'entreprises nouvelles, susceptibles d'être monnayées contre tout éventualité, et qui auraient pu constituer le vaste champ des possibles.

    Dans l'imbroglio des propositions auxquelles il se voyait soumis, il oeuvrait à recadrer un peu les choses et prenait conscience, avec une satisfaction qui ne cessait de l'étonner, qu'une des caractéristiques des personnages encore à l'épreuve dans cet immobilier, était qu'aucun n'avait vraiment dit oui au scenario de la nuit.

     Qu'à cela ne tienne, le jour venu, il prit sous le bras ses brimborions de rêves et s'en fut les proposer à quelques amateurs de chair fraîche ou quelques friandes de curiosités, de qui il aurait , par le menu, mastications de haute volée, précautionneuses et éclairées,  de ses histoires de rien.

     Il ne fut pas long à trouver. Il y avait foule.

     


    Andrée Wizem

     

    Samedi 02 Février 2013.

    Texte écrit à partir de la consigne :  utiliser les mots "oui" et "mur"

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    7 - Brève élémentaire.

     

     Dès les volets ouverts, sa première pensée le ramena à l'oubli d'un pépin, pourtant si remarquable.

     

     C'est un jour de grand vent, alors que le ciel lui infligeait des tirades de pluie à l'horizontale, retournant à tout va les armatures arc-boutées du monde, qu'il avait décidé d'entrer dans la boutique de maroquinerie la plus renommée, pour sélectionner le parapluie adéquat aux intempéries où il baignait.

     

     Le pommeau de buis eut l'art de lui plaire. Les plis de la toile s'ouvraient et se refermaient en un tour de main. Il avait ainsi l'instrument parfait pour arpenter les rues de la ville.

     

     Il prenait, en enfilade, les galeries une à une, traversant, d'un regard de maître, les vitrines, pour épouser les formes des sculptures, les contours des tableaux, les creux des céramiques, et ces objets étranges qui poursuivaient leur vie sur des comptoirs en bois précieux ou des étales d'aluminium.

     

     Il avait toujours rêvé de faire voyager des oeuvres autrement que dans des containers blindés.

     

     Il se voyait volontiers passeur de trésors, allant sur le fil tendu entre les continents, à mille lieues au dessus de la géographie terrestre, trouvant, au millimètre près, l'équilibre entre ses deux mains, l'une tenant le pépin, l'autre ce qu'il fallait sauver.

     

     Au faîte de ses épaules de sherpa, expert au portage de l'eau lors des expéditions extrêmes, mûrissait le projet d'une traversée entre deux pays, entre deux mondes, entre deux langues.

     

     Dans ses allées et venues trans-frontières, cette pensée, solide comme un roc, essuya les averses du jour, submergée, sans toutefois ruisseler dans sa tête.

     

     

    Andrée Wizem

     

    Texte écrit dans le cadre des ateliers "Le fleuve à voix haute" avec Marie Frering écrivaine et Michel Talleron metteur en scène (voir le site de la Compagnie...clic...) organisés en lien avec la M.J.C de Tain l'Hermitage 26

    Incipits du 03.11.12: "franchir le pont"  et /ou "cette pensée ruisselle souvent dans sa tête"

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